Sur nos bureaux désormais, parmi nos équipements
les plus quotidiens, figure une banale boîte grise associée
à un écran depuis longtemps familier... voici décrit
l'ordinateur, objet incongru qui a pris place peu à peu
dans nos habitudes, idole passe-muraille, d'une révolution
technologique qui balaye insidieusement le monde.
Elu " l'homme de l'année ", en 85, par Time
Magazine, cette nouvelle star est aujourd'hui partout. Un écran
aveugle, une coque de plastique dissimulant quelques grammes
de silicone en guise de mémoire, notre " Homme",
n'est rien d'autre qu'une machine en somme, esclave du calcul,
et dotée du sens des affaires. Pourtant ce génial
comptable, inaugure l'ère des machines vivantes et s'avère
offrir aussi, aux artistes impatients, en même temps qu'un
nouveau champs d'investigations, le lieu ardent d'une bataille.
C'est en hérauts de l'arène technologique, vêtus
de leur habit de lumière flambant neuf pour combattre
ou s'allier ce nouveau Minotaure, que les artistes assaillent,
dans son labyrinthe mathématique, cette machine quelconque
mais inquiétante, sinon redoutable. En condottiere, conquistadores
ou pionniers, tous nomades de l'imaginaire, ils découvrent
que, derrière l'oeil vitreux du monstre, s'étend
un monde infini de formes, de paysages mentaux, de beautés
inédites, un trésor enfoui d'émotions prêtes
à être retranscrites dans de nouveaux défis.
L'art numérique est peut-être la nouvelle frontière
de l'art. C'est un territoire vierge, un Ouest sauvage et digital.
Sa force première vient de ce qu'il englobe tout ou partie
des techniques existantes, brouillant les frontières qui
les séparaient encore. Les artistes, habitués depuis
des siècles à ne pratiquer que les techniques que
la durée d'une vie humaine leur laissait le temps d'apprendre,
ont maintenant à leur disposition immédiate, à
portée de clavier, un prodigieux choix d'outils, qui ne
demandent qu'à être sollicités, testés,
métissés.
C'est un festin de pixels, au goût de liberté !
Nous faisons, défaisons, refaisons. Nous coupons à
l'envie le fil du processus créatif, sans nous préoccuper
de temps de séchage...
Les artistes numériques batifolent, s'ébattent,
jouent des richesses illimitées que leur offre la technologie,
et qui participent, dans la rapidité du processus, de
leurs visions même.
Qui souhaiterait, pourtant, que les arts traditionnels soient
évincés par leurs équivalents
numériques? La photographie a t-elle jamais remplacé
la peinture? Aucune technique ne se substitue jamais à
une autre, même si elle la marginalise et les artistes
utiliseront toujours le fusain, cet outil vieux de 15.000 ans.
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Mais les technologies numériques ont ce pouvoir particulier
de libérer de certaines contraintes du corps et de la
matière, faisant pencher la balance en faveur de l'esprit
et de ses potentialités. Les outils et médias numériques
ne sont pas faits d'atomes et de molécules chimiquement
instables, au futur incertain et à la lenteur désespérément
terrestre, mais d'étincelles, de grains immatériels
d'information. Et si l'art est, essentiellement, une affaire
d'émotions humaines, le numérique nous permet de
projeter ces émotions à la vitesse de la lumière
depuis notre cerveau vers le support virtuel, puis vers le monde.
Loin d'être ce processus aliénant, menaçant,
déshumanisant que certains persistent à dénoncer,
nous considérons comme profondément humaniste l'approche
numérique au coeur de laquelle agit une pensée,
au pouvoir décuplé par la magie du chiffre.
Les machines ne sont, certes, que nos nouveaux instruments, mais
pas n'importe quels instruments, des outils portant en eux des
intentions, celles des ingénieurs qui les ont créés,
nos ailes d'Icare, à la fois fidèles et traîtres,
par lesquelles nous montons, toujours plus haut, jusqu'au soleil
brûlant de nos propres limites.
Maintenant que nous avons pénétré les territoires
numériques, de nouvelles questions nous assaillent. Que
vouloir? ? Que choisir ? Quel chemin? Voilà bien les questions
que ne se posait pas le sculpteur de Chartres... Mais aujourd'hui
dans la pléthore des possibilités, la palette infinie
des propositions, perdu dans le supermarché de l'image,
notre aventurier numérique a bien le problème du
choix. Il lui faut faire appel à toute sa rigueur, toute
sa volonté, pour tailler une voie à la machette
de la souris, dans cette jungle des stimuli.
Qu'il s'agisse d'une nouvelle esthétique, nul pourrait
aujourd'hui l'affirmer, Mais nul
ne peut douter, non plus, qu'il y ait là une création
à part entière, se jouant des styles et des influences,
utilisant l'apport d'un savoir ingénieur, puisant directement,
via des canaux numériques en expansion permanente, dans
les réserves immenses de l'expérience et de l'émotion
humaine jusqu'aux racines de l'histoire et du monde. Beaucoup
d'artistes numériques se sont formés aux techniques
traditionnelles. Leur savoir-faire est vieux de plusieurs siècles.
Leurs approches comme leurs cheminements divergent. Mais leur
talent et leurs visions ont fait de l'art numérique ce
qu'il est aujourd'hui : jeune, mais déjà riche
de contenu et de sagesse, audacieux et exigeant. Sa nature généreuse
lui permet d'être apprécié par une nombre
croissant de personnes, qui en en font de plus en plus une partie
intégrante de leur culture.
Les wagons des pionniers, lourds de fertiles souvenirs comme
de germes novateurs, viennent de passer la frontière.
Devant nous s'étendent les terres inconnues, où
nous avons encore tant à découvrir, les terres
inexistantes où nous avons tout à créer.
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